LE DROIT DE SUITE ET L'OUBLI

Publié par Chroniques Boïennes avec l'aimable autorisation de Jean-Claude Guillebaud, journaliste au NOUVEL  OBSERVATEUR. Cet article a également paru sur SUD-OUEST le 1er aout 2010.

Pour ceux qui ne l'auraient pas lu :

 

Cet extrait concerne, en particulier, les problèmes du massif forestier Aquitain.

 

….............''.Une catastrophe (guerre, famine, inondation, etc.) fera la une pendant quelques jours, puis disparaîtra de l'actualité et rapidement des mémoires. Ce principe d'amnésie est d'autant plus calamiteux que c'est en général après que se passent les choses les plus graves. Prenons l'exemple des deux tempêtes successives qui, en 1999 et en 2009, ont ravagé l'immense forêt des Landes. On n'en parle plus guère, voire plus du tout. Et pourtant, si nos télévisions nous montraient les lieux aujourd'hui, nous resterions sans voix. Un peu partout, d'immenses étendues privées de pins, mais pas encore débarrassées de leurs milliers de souches, semblent avoir été hachées par un bombardement. Ici et là, des stocks de grumes, arrosées en permanence, laissent découvrir l'ampleur des dégâts : des millions de mètres cubes de bois empilés. Sur les routes, après tant d'années industrieuses, on croise toujours de gros semi-remorques chargés de troncs. La collecte des « cadavres » est loin d'être achevée.

Et ce n'est pas tout. Une autre catastrophe est en cours. Elle est déjà visible à l'œil nu : des milliers de pins se dressent, intacts mais foudroyés. Leurs aiguilles sont rousses, leurs troncs, marronnasse. Ils sont morts debout, comme les soldats d'une armée anéantie par un gaz de combat. Cette nouvelle dévastation est causée par un parasite vorace, le scolyte ou Ips sexdentatus que les forestiers ont pris l'habitude d'appeler le « ips » (on parle aussi de sténographe). L'insecte a d'abord proliféré dans les chablis de la première tempête, puis dévoré le bois tombé avant de s'attaquer au bois vivant. Les arbres vivants ou ceux des parcelles replantées après 1999, déjà affaiblis par le manque d'eau et les chenilles processionnaires, n'ont plus les moyens de se défendre. Ils sont perdus.

Certes, la grande sylve, entretenue, noble et habitée, d'autrefois était déjà largement abîmée – et cela depuis la seconde moitié du xx° siècle – du fait même de l'action des hommes. Dès cette époque, l'ancienne forêt a trop souvent été remplacée par un système ou prévalait la monoculture du pin, au moyen de pratiques agricoles très intensives. La fragilité des écosystèmes a été souvent ignorée. Dans le même temps, les impératifs de rentabilité ont poussé à des coupes prématurées. Tronçonnés longtemps avant leur maturité, les pins ont été vendus à un prix inférieur à leur coût de production.

A la courte vue de cette « pensée du nombre » s'est ajoutée la complexité kafkaïenne des règlements administratifs qui rendent bien difficile l'obtention des aides promises par l'Etat. Il convient d'ajouter la pression des nouveaux promoteurs (notamment de fermes photovoltaïques)* qui se révèlent parfois plus voraces que le parasite sténographe. Au bout du compte, c'est maintenant en 2010 que l'on prend la mesure de l'évènement : L'un des plus beaux et plus vastes massifs forestiers d'Europe est menacé de disparition pure et simple.

 

Or, les médias regardent ailleurs et l'info passera par pertes et profits. Nous avons décidément un vrai problème avec la temporalité de l'information.''

 

J.Cl. Guillebaud.

_____________________

 

*Et les éoliennes dont il est question d'implanter un grand nombre dans la région de Lue, précisément là ou le vent ne brille pas par ses records... Et les hectares de maïs.... et les... et les.....

 

(D.Bac).



18/10/2010
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